Voyage en van
La liberté spatiale. Ou plutôt, la van life. Ce matin, il est 6 h, l’aube s’étire lentement, et nous venons de terminer de charger le van. Dehors, l’air est vif, le silence encore plein de promesses. Le moteur s’éveille doucement, et déjà, l’aventure commence.
Dans les placards, des jeux de société pour les soirées pluvieuses, des livres pour les heures tranquilles, un bloc-notes pour graver les pensées volantes.
Dans le frigo, des œufs, du café, de la tisane. Le strict nécessaire, mais aussi tout ce qu’il faut pour être bien.
Pour le confort, des plaids moelleux, des polaires, des bonnets, et ce linge familier qui garde l’odeur du foyer.
Et puis, surtout, un journal de bord. Parce qu’un voyage sans mots serait comme une mer sans reflets, et qu’il faut bien garder trace de tous ces moments que l’on ne veut pas voir s’effacer.
Dehors, la fraîcheur nous enveloppe sans nous glacer. C’est un froid qui réveille, un froid vivant. On roule une heure, peut-être deux, au rythme du jour qui s’élève. Quand la faim nous gagne, on s’arrête sur une aire d’autoroute. L’un des privilèges de cette vie sur roues, c’est de pouvoir préparer soi-même son repas. Un grand verre d’eau, des œufs brouillés, l’odeur du café qui emplit l’air. À quelques pas, des vaches broutent paisiblement. Je prends mon thermos et vais les saluer. Le monde semble simple, presque parfait.
Puis on reprend la route. En chemin, on apprend que le spot où l’on voulait s’installer est pris d’assaut par les touristes. Cela ne m’étonne guère. Un endroit sauvage, presque désert, à quelques mètres de la mer, attire forcément les âmes libres. Un peu déçus, nous nous arrêtons dans une brasserie. Je commande une galette complète, garnie d’andouille végé. C’est un régal, surtout accompagnée du cidre local. On raconte notre mésaventure au serveur, qui nous écoute avec gentillesse. À la table voisine, un couple a tout entendu. Ils nous expliquent qu’ils habitent à deux kilomètres du fameux spot et nous proposent de garer notre van chez eux, pour une somme symbolique. Leur maison surplombe la mer, à cent mètres de la plage. Le soir même, installés sur la pente, nous découvrons une vue magnifique. L’horizon semble infini. Ce week-end s’annonce exceptionnel.
On s’assoit sur la marche du van, face à la mer, un livre à la main. Je lis un essai sur les bibliothèques du monde, un voyage dans le voyage. Entre deux pages, quelques poèmes de Rimbaud glissent leur musique et colorent l’instant d’un éclat nouveau. Le soir, la soupe de poisson fume dans les bols, la rouille dore le pain. Après le repas, nous marchons le long de la mer. Le ciel se charge de nuages. Nous le savions, mais comme toujours, nous avons oublié les imperméables. Le vent se lève, la pluie commence à tomber, d’abord fine, puis dense, chaude et vive.
On court jusqu’au van, riant, trempés jusqu’aux os. À l’intérieur, il fait froid. Le vent siffle, la pluie martèle la carrosserie. J’aime cette tempête douce, ce chaos qui nous berce. On s’emmitoufle dans nos polaires, on allume le chauffage, et la chaleur revient, enveloppante. Dehors, la mer gronde. Dedans, la vie est calme.
Une tisane fumante à la main, les yeux perdus dans l’obscurité mouvante, on se laisse glisser, bercer. Le monde entier semble tenir dans ce petit van, posé face à l’horizon.