Le sabre
Depuis mon plus jeune âge, le sabre de mon grand-père m’a toujours fasciné. Il repose là, immobile, sur son katanakake, veillé par un masque japonais de démon au sourire figé. Ensemble, ils semblent former un duo silencieux, chargé de secrets anciens. À mes yeux d’enfant, ce sabre n’est pas un simple objet : il respire le mystère, dégage une aura à la fois maléfique et merveilleuse, comme s’il contenait en lui l’écho d’un passé interdit.
Chaque fois que j’osais demander à mon grand-père la permission de le manier, il me répondait d’une voix grave :
« Apprends d’abord la voie du sabre, en t’exerçant avec nos sabres de bois. Puis, lorsque ton esprit sera aussi tranchant que ta lame, suis la voie de la sagesse. Elle seule t’ouvrira les portes du Daikenja no ma no ken. »
Je restais souvent silencieux après ces mots, le regard rivé sur le sabre. Pourtant, une question revenait sans cesse :
- Et pourquoi y a-t-il toujours ce masque rouge à côté du sabre ?
Mon grand-père marqua une longue pause. Ses yeux se perdirent dans le vide, comme s’ils contemplaient un souvenir qu’il aurait préféré oublier. Puis, d’une voix basse, presque murmurée, il répondit :
« Parce que ce sabre ne dort jamais seul. »
Il se tut, et dans le silence qui suivit, j’aurais juré voir l’ombre du masque frémir.