Un pas après l’autre
Seul, perdu dans l’immensité du désert. J’attends.
Depuis toujours, je suis fasciné par ce décor sans fin, berceau de légendes anciennes, symbole brut de la création. Du néant jaillit le tout, comme si le vide lui-même contenait la promesse d’un commencement.
Je ne saurais dire depuis combien de temps je suis ici. Peut-être une centaine d’années, ou seulement quelques jours. Le temps s’est dissous dans la lumière. Je me suis éveillé un matin, seul, au milieu d’un océan de sable, sans autre bien que les vêtements que je portais. Que faisais-je là ? Mystère. Je ressentais la chaleur écrasante du soleil, mais aucune faim, aucune soif. Comme si mon corps s’était affranchi de ses besoins les plus élémentaires. Était-ce un don ou une malédiction ?
Au début, j’ai lutté. Je me suis recroquevillé, prisonnier de mes larmes, regrettant la douceur d’un foyer, la présence des miens, la compagnie de mes livres. Mais à force de marches et de silences, une évidence m’a traversé. Je n’avais plus rien à perdre. Le désert, implacable, m’avait offert la liberté.
Les jours passaient, uniformes, jusqu’au matin où j’aperçus une forme métallique, à moitié engloutie par le sable. Intrigué, je me penchai, dégageai la carcasse rouillée. Elle vibra soudain, puis s’anima. C’était un petit robot, à l’allure de dragon, mais qui, par ses mouvements hésitants, rappelait plutôt un chien. Il s’approcha de moi, quémandant presque une caresse. Je le laissai m’accompagner.
À deux, le désert paraissait moins hostile. Sa présence bruyante, d’abord pesante, devint peu à peu rassurante. Chaque soir, je me surprenais à me réjouir de l’avoir à mes côtés.
Mais un jour, l’air se déchira de cris stridents. Des oiseaux de taille humaine fondaient sur nous, affamés, leurs becs dégoulinant de bave. Nous nous mîmes à courir, mais leur vol était plus rapide. Alors, pris de désespoir, je me retournai, prêt à lutter. Pourtant je n’eus rien à faire : le petit dragon ouvrit la gueule et un torrent de flammes jaillit, réduisant en cendres nos assaillants.
À mesure que nous progressions, je me surpris à voir en lui mon reflet. Et si je n’étais pas si différent de cette créature mécanique ? Peu à peu, un doute s’insinua : n’étais-je pas moi-même devenu un robot ?
Puis vint le matin où mes muscles refusèrent d’obéir. Je voulus me lever, mais mon corps m’échappait. Le robot se pencha vers moi, inquiet, et poussa un cri strident. Le ciel se déchira. Des êtres ailés descendirent dans un éclat de lumière. Sans un mot, ils m’encerclèrent, m’allongèrent sur le sable brûlant. Je sentis leurs mains froides s’enfoncer dans ma chair. Mon ventre s’ouvrit. Des câbles, des circuits, des rouages apparurent.
Je n’étais donc pas un homme. Mais l’avais-je jamais été ? Et ces créatures venues du ciel… anges, humains transfigurés, ou machines d’un ordre supérieur ?
Vous en pensez quoi ?