Samouraï
À l’orée d’un bois baigné par la clarté d’une lune silencieuse, un samouraï dormait du sommeil du sage. Son souffle était paisible, son esprit, en repos. Il ne craignait rien : l’inattendu était son allié. Nul guerrier plus redoutable ne foulait ces terres, nul cœur plus pur ne battait sous le ciel du pays des brumes.
Ce soir-là, après avoir longuement lu un parchemin relatant les exploits de feu son grand-père, il s’était laissé glisser dans le sommeil, le sabre posé près de lui, comme un prolongement de son âme.
Mais à quelques pas de là, dissimulé dans un buisson, un homme l’observait depuis plus de trois heures. Silencieux comme l’ombre, immobile comme la pierre.
Lorsque l’espion fut enfin certain que le samouraï dormait, il s’empara du sabre et fondit sur lui, telle la griffe du dragon s’abattant sur sa proie.
Le samouraï n’était plus.
Ce geste était né de la vengeance. Des années plus tôt, lors d’un règlement de comptes, le samouraï avait fait irruption dans une taverne et, d’un seul déchaînement de sa technique du Tourbillon Scintillant, avait anéanti tous ceux qui s’y trouvaient. Parmi eux… le père de son futur assassin. Un simple tavernier. Un homme sans arme.
Ainsi, l’assassin crut obtenir justice. Il s’empara du sabre noir du samouraï, persuadé qu’avec lui, il ferait le bien et laverait son nom.
Les semaines passèrent. Bientôt, dans chaque village, on murmurait la même question :
- Où est passé le samouraï ?
Privé de son protecteur, le pays sombra à nouveau dans le chaos. Les bandits pullulaient, les innocents tombaient, et le vent lui-même semblait porter les échos du désespoir.
Alors, le vengeur comprit. Cette tâche, celle de protéger les faibles, lui revenait désormais.
Il s’équipa du sabre noir. L’arme était lourde, d’une puissance étrange, presque récalcitrante. Pourtant, il marcha droit vers une troupe de brigands, ceux-là mêmes que le samouraï aurait balayés d’un seul geste.
À la vue de leurs muscles noueux, de leur férocité, de leurs vêtements tachés de sang, la peur le saisit.
Et, comme précédemment, il choisit la voie de la lâcheté.
Il attendit la nuit, puis se jeta sur le chef endormi…
Boom.
Un cri, un choc. Il n’avait pas vu le bras droit du chef, éveillé, veillant sur son maître.
Capturé, ligoté, il fut conduit devant le chef pour l’exécution. Ce dernier s’approcha, plissant les yeux.
- Oh… mais tu es Kshiiki, le fils de Rôta ?
- Comment… comment connaissez-vous mon nom ? Et celui de mon père ?
- Parce que j’étais son ami. J’ai même été son tout premier client lorsqu’il a décidé de raccrocher.
- Raccrocher ? Que voulez-vous dire ?
- Ton père, mon garçon, fut pendant dix ans le grand chef de tous les brigands du pays.
Le silence tomba. Le monde sembla vaciller.
Kshiiki sentit le poids de ses fautes l’écraser. Le sabre noir, qu’il avait cru porteur de justice, n’était qu’un miroir de son propre sang.
À l’aube, il s’enfuit.
À l’orée du même bois où tout avait commencé, il planta le sabre dans la terre humide. Puis disparut.
Nul ne sut jamais ce qu’il advint de lui.
Des semaines plus tard, un vieil ermite, sage parmi les sages, découvrit l’arme.
Il la souleva doucement, surpris :
- Étrange… ce sabre est d’une légèreté incroyable. On dirait le poids d’une plume… Je n’ai jamais rien vu de tel.